Vairë commença son conte.
Les Dieux gouvernaient difficilement les errances du Soleil et de la Lune. Ilinsor et Urwendi se jalousaient souvent et il était fréquent de les voir dans le ciel au même moment.
Il en résulta un nouveau trouble en Valinor. Les gens disaient que le monde était à la portée de n’importe qui, car entièrement couvert de lumière : Valinor n’était plus en sécurité, d’autant que Melko haïssait ses habitants. La joie du dernier bourgeonnement des arbres mit la crainte de Melko de côté, et l’amertume des derniers temps fut oubliée. Mais lorsque Valinor eut de nouveau la paix, ce souvenir éveilla la colère et le chagrin.
Face aux Noldoli, les Dieux durcirent leurs cœurs et les autres Elfes encore plus que les Valar. Les Solosimpi ne voulaient plus revoir leurs frères.
La situation chagrinait Manwë, qui voyait son dessein non encore achevé. Il réunit alors les Dieux et les Elfes en conclave pour remédier au cours du Soleil et de la Lune. Ainairos se leva et exposa la pensée des Elfes à propos des Noldoli et de la nudité de Valinor, aussi un grand tumulte s’éleva. Nombreux sortirent en reprochant à Manwë et à Varda un bonheur éternel qui à présent n’était plus. Ils disaient aussi que les Dieux faisaient en sorte que leur bonheur soit moindre et réclamaient la dissimulation de Valinor pour que ni Melko, ni les Noldoli ne viennent les y troubler. Ulmo, quant à lui, voulait que l’on pardonne aux Noldoli et que Manwë dévoile le secret de la Musique des Ainur. Manwë quitta le conseil en disant que rien ne pourrait faire obstacle à Melko.
Les ennemis des Noldoli se mirent d’accord pour la dissimulation de Valinor ainsi que tous les Elfes et les Dieux, à l’exception de Manwë, Varda et Ulmo.
Ils rendirent les montagnes encerclant Valinor encore plus infranchissables, entassèrent les toiles d’Ungwë à l’est pour que personne ne puisse venir de ce côté. Du nord au sud s’élevaient des enchantements, mais ils ne furent pas satisfaits et décidèrent de faire disparaître tous les chemins menant à Valinor. Ils ne laissèrent aucun passage sans tourbillon ou autre péril. Ils détruisirent même Helkaraksë à la demande des Solosimpi. Néanmoins ils ne bouchèrent pas le passage sous le Taniquetil qui donnait sur la baie de Faërie.
Les Solosimpi demandèrent à Ulmo d’où venait l’amertume de sa musique, et surtout s’il pouvait les aider. Comme il ne participait pas à la dissimulation, ils demandèrent son aide à Ossë qui créa les îles magiques placées en anneau aux limites ouest de la mer pour protéger la Baie de Faërie. Elles étaient enchantées et les personnes qui en foulaient le sol étaient endormies pour toujours.
Manwë contempla cette œuvre et s’entretint avec Lórien et Oromë qui avaient pris part à cette dissimulation à contrecœur. A l’issue de cet entretien, Lórien tissa une voie secrète, tortueuse et magique dans la mer qui rencontrait toutes les contrées du monde. A part les Valar et les Elfes, aucun Homme ne vit cette voie, et rares furent ceux qui en vinrent à bout.
Oromë,quant à lui, demanda à Vána quelques-uns de ses cheveux d’or, qu’il trempa dans Kulullin et qu’elle tissa en une immense laisse. Il alla alors chercher Manwë pour le faire regarder en direction de Kalormë, la montagne la plus haute hormis le Taniquetil, et la plus éloignée des terres de Valinor. Oromë lança alors ce câble sur Kalormë et le noeud coulant qu’il avait fait s’y accrocha. Il dit alors que celui qui voulait aller dans les Grandes Terres n’avait qu’à le suivre. Puis, il marcha sur le câble et fut transporté jusqu’à Kalormë. Lorsqu’il revint, il replia la corde et la donna à Manwë en lui disant qu’il avait fabriqué pour les Valar un chemin permettant de se rendre sur les Grandes Terres. Aucun Homme vivant ne pourrait fouler ce chemin et aucun autre passage ne mènerait les Elfes et les Hommes en Valinor, sauf un : la route de la mort qui conduisait chez Mandos.
Ainsi fut achevée la Dissimulation de Valinor, dit Vairë. Elle voulut narrer l’un des grands faits de ce temps et conta le Havre du Soleil.
Tous les cœurs furent enfin apaisés en Valinor, qui avait retrouvé le bonheur. Kôr en devint le plus beau royaume.
Manwë et Ulmo tinrent conseil pour leur sécurité. Ils énumérèrent beaucoup de projets car leurs cœurs étaient alourdis par Melko et l’errance des Noldoli. Manwë parla alors aux Valar et leur rappela qu’ils n’avaient toujours pas réglé les cours du Soleil et de la Lune. Il craignait que la Terre ne devienne insoutenable à cause de la chaleur et les Elfes pensaient mettre un terme à leurs labeurs.
On proposa d’envoyer un messager à l’est des Grandes Terres pour observer ces régions. Oromë se leva et dit qu’il avait vu précisément à l’est de ces terres, une plage et des mers sombres. Ulmo le savait et prit la suite d’Oromë. Il dit qu’un océan, Vai, soutenait la terre et que les autres océans visibles n’étaient que des mers, comparés à lui. Vai coulait à partir de la Muraille de toutes Choses. Valinor en était proche, tout comme les rivages de l’est. Il proposa de prendre avec lui Aulë et de voyager dans Vai afin d’arriver sur les rivages de l’est et d’y construire des navires pour les Hommes et les Noldoli, et également pour Urwendi et Ilinsor.
Ulmo et Aulë se pressèrent et construisirent de vastes havres dans l’est : un pour le Soleil et un pour la Lune. Les Valar voulurent transporter le Soleil et la Lune sous Vai, mais ils ne le purent pas car le Soleil était trop fragile et perdait trop de lumière.
Alors les Dieux tirèrent Urwendi avec des bateaux jusqu’à la Muraille de Toutes Choses où ils avaient créé une grande porte appelée Porte de la Nuit. Elle s’ouvrait avec un mot mystique que seule Urwendi et les Dieux connaissaient.
A l’est, la Lune quittait son havre, et à l’ouest, Urwendi ouvrit la porte puis entra dans les ténèbres mais revint derrière le monde et arriva à son tour à l’est. La Lune n’osait emprunter la Porte de la Nuit et voyageait donc sous le monde, suivant un chemin hasardeux : c’est pourquoi Ilinsor est moins respectueux des heures qu’Urwendi. Ce fut la manière qu’on utilisa longtemps pour diriger le Soleil et la Lune. Les Dieux durent y remédier à cause des événements jusqu’à ce qu’advienne le tissage des Jours, des Mois et des Années.