Dans cet hôpital très particulier, il se vit administrer un traitement amer, puis on lui confia diverses tâches, essentiellement des travaux de menuiserie, sans qu’il puisse en comprendre l’intérêt ou la raison. Il s’exécuta sans contester et finit même, paradoxalement, par s’adapter à l’étrange régime qu’on lui faisait subir, trouvant son propre rythme et une gestion de son temps qui au bout du compte, lui convint tout à fait.
Brusquement, on lui imposa un changement radical d’activité, et il bêcha plusieurs jours durant, avant de se voir prescrire un repos total dans l’obscurité par un médecin inconnu. Au cours de ce repos forcé, il entendit deux Voix débattre de son cas, à la façon d’un tribunal qui aurait été réuni pour évaluer les bons et les mauvais côtés de sa personnalité. L’une d’elles, fort sévère, examinait scrupuleusement son dossier et l’accusait d’égoïsme et d’indifférence à l’égard de son prochain, tandis que l’autre Voix, plus indulgente tentait de mettre en avant ses qualités et sa générosité foncière.
Dans les deux cas, le nom de Parish fut évoqué et le cœur de Niggle fut empli de honte et de remords, pour avoir malmené son voisin, aussi ingrat qu’il eût été. La Première Voix s’adressa alors à Niggle sachant qu’il avait tout entendu, et à la suite de sa réponse humble, décida de donner raison à la Seconde Voix, encline à un traitement plus doux.
Le lendemain, Niggle put constater par une belle journée ensoleillée le changement effectif de son traitement jusqu’ici rigoureux. Après un repas enfin conséquent et des soins efficaces, il reçut un billet de train. Guidé par le Porteur de la fois précédente, il monta dans un train confortable et fraîchement repeint.
Parvenu à destination, Niggle eut la surprise de découvrir sa bicyclette qui l’attendait. Il l’enfourcha sans attendre et, roulant sur un terrain verdoyant qui lui parut familier, arriva avec stupéfaction jusqu’à son Arbre, celui-là même qu’il avait peint et imaginé, et dont il pouvait à présent contempler toute la beauté et l’épanouissement.
S’aventurant avec ravissement jusqu’à la forêt qui se situait à l’arrière-plan de son tableau devenu « réel », Niggle prit conscience d’un manque, et d’un ajout que seule l’aide et les compétences de Parish, pourraient lui permettre de mener à bien. Et soudain, il le vit, un peu perdu, appuyé sur une bêche dont il ne savait que faire. Tacitement les deux hommes se retrouvèrent et eurent à cœur de construire ensemble une petite maison agrémentée d’un jardin.
Ce travail en commun leur permit de se rapprocher jusqu’au jour où Parish révéla avec gratitude à Niggle qu’il lui devait sa présence en ces lieux, car lui aussi avait entendu les
Voix, notamment la Seconde, bienveillante, qui lui avait appris que Niggle était désireux de le voir et avait parlé en sa faveur.
Niggle se défendit modestement d’être à l’origine de la venue de Parish, mais une amitié et une estime réciproque résultèrent de cet échange. Si la fatigue les prenait, ils se revivifiaient grâce à un tonique provenant de l’eau d’une Source que Niggle avait imaginée sans jamais lui avoir donné une forme concrète dans son tableau, mais qui néanmoins existait au plus profond de la forêt.
Les deux hommes, voyant la fin de leur travail toute proche, s’absorbèrent ensemble dans de longues promenades contemplatives, qui un jour les menèrent jusqu’au bord de leur monde. A cette frontière non définie, ils rencontrèrent un berger qui leur posa à tous deux une question douloureuse pour l’un, et évidente pour l’autre : poursuivre leur chemin au-delà des limites de l’univers qu’ils avaient communément construit, ou y demeurer, sans se préoccuper du monde extérieur.
Parish fut le plus mesuré des deux et révéla qu’il attendait son épouse, à laquelle ce lieu sans nom plairait probablement. Le Berger, à sa demande, lui apprit que ce pays n’était autre que le Pays de Niggle, le Tableau de Niggle dont une partie portait dorénavant le nom de Jardin de Parish, ce qui laissa Parish aussi admiratif que stupéfait. A ce moment, le Berger lui fit comprendre que son attitude et celle de sa femme à une certaine époque les avaient éloignés de Niggle, dont ils méprisaient le talent, en doutant de la réalité de son œuvre.
De son côté, Niggle présenta ses excuses à Parish, car selon lui ses propres torts n’étaient pas négligeables, puis sur une poignée de mains amicale, il s’en fut en compagnie du Berger, qui s’offrait à le guider vers les Montagnes.
L’histoire s’achève sur une conversation entre le Conseiller Tompkins, à l’humour acide
(qui au passage récupéra la maison de Niggle, longtemps convoitée) et un maître d’école dénommé Atkins qui, avec sagesse et gravité, met l’accent sur l’utilité et la valeur de la peinture, fut-elle l’œuvre d’un petit homme en apparence insignifiant, tel que l’était Niggle.
Au final, la Seconde Voix se félicita d’avoir su mettre à profit un joli lieu de détente, et la Première Voix, enfin compréhensive, s’interrogea sur le nom à attribuer à cet endroit privilégié.
Ce à quoi la Seconde Voix lui répondit qu’après en avoir informé les deux principaux concernés qui en avaient ri « à faire résonner les Montagnes », l’endroit avait été judicieusement rebaptisé par le Porteur : « La Paroisse de Niggle »
NB :
- Parish = Paroisse
- Niggle = Fignoleur